Apprendre à écrire des best-sellers, c'est possible ?

Publié le 2 Décembre 2013

Marc Lévy et Guillaume Musso, ou l'archétype de l'auteur à succès.

Un phénomène surprenant attire depuis quelques temps mon attention. Il s’agit de la création littéraire, ou plus précisément, de l’idée qu’il est possible d’apprendre à écrire en allant à l’école. Certes, en primaire, les enfants apprennent à écrire, mais il ne s’agit pas de ça. Il est plutôt question des filières universitaires de création littéraire, de sites et d’ouvrages qui prétendent procurer des outils pour pondre un roman tout près à être édité. Devant un tel engouement, je me suis posé une question un peu idiote, sans doute : c’est une sorte d’arnaque, non ? Je précise que je ne suis pas revenu de cette première impression.

Je conçois que l’écriture d’une œuvre littéraire demande un travail conséquent. Seulement, j’imagine mal un quidam lambda parvenir à se faire publier du jour au lendemain sans avoir un certain goût pour l’écriture depuis sa tendre enfance. Pourtant, lorsque je vois les records de vente d’écrivains comme Guillaume Musso ou Marc Lévy, je me dis que c’est possible. Ils écrivent un roman par an, bénéficient d’une couverture publicitaire variée, de bonnes critiques sur les sites spécialisés, etc., etc. En plus, ils durent dans le temps. Alors pourquoi tant de haine de certains critiques ? D’ailleurs, la répartie la plus répandue des auteurs à succès est de dénoncer l’attitude des journalistes parisiens qui seraient allergique à leur popularité. Un Michel Onfray réagit de la même manière pour balayer d’un revers de manche ceux qui osent critiquer les absurdités qu’il peut sortir dans ses essais philosophiques.

Dans l’idée, apprendre à écrire, pourquoi pas ? Mais, est-ce le rôle de l’université de former de futurs écrivains à succès ? Connaître les attentes des éditeurs, être capable de détecter les modes littéraires, les attentes d’une classe d’âge particulière, peuvent incontestablement être des plus. Seulement, il ne faut pas avoir été en fac pour savoir que le monde de l’édition est plus complexe. Des auteurs à succès il y en a quelques-uns en France, outre ceux déjà cités : Stephen King, Stephenie Meyer ou encore Katherine Pancol, Anna Gavalda et Fred Vargas. Pour faire enrager les misogynes de l’Académie française, il y a beaucoup de femmes parmi les auteurs à succès.

Les écrivains sont-ils issus des meilleures universités un peu partout dans le monde ? Assurément, non. Les Carnets de route de François Busnel, animateur de « La Grande Librairie » sur France 5, montrent que l’environnement et le parcours des écrivains interrogés diffèrent les uns des autres. Souvent, leurs histoires personnelles interagissent avec leur écriture, avec leur monde imaginaire. C’est possible qu’il s’agisse d’une banalité. Une biographie d’un auteur renseigne souvent sur les choix qu’il a pu prendre au cours de sa vie, mais donne rarement des renseignements sur ses lectures, ses petites manies d’écrivains, sur ses fans. Pour exemple, les Lettres de Tolkien, mon auteur préféré, complète à merveille la biographie que lui a consacrée Humphrey Carpenter.

Une histoire de la littérature, même rédigée par un excellent spécialiste, me semble souvent une succession de clichés, de faits historiques arides. Bien sûr, la grande histoire a un intérêt. Pour un étudiant en histoire ce serait surprenant d'écrire l'inverse. Je pense même qu’une œuvre littéraire se doit d'être remise dans son contexte. Un écrivain du XVIIe siècle, comme un auteur à succès du XXIe siècle, évolue dans un milieu social particulier, avec un cercle de proches autour de lui. A ce titre, la correspondance de Tolkien éclaire le lecteur sur la conception qu’il a de la littérature, sur ses méthodes de travail (très universitaire), sur la relation qu’il entretien avec ses fans à travers le monde. Tout cela est bien plus passionnant qu’une aride notice dans un dictionnaire.

Ecrire une histoire de la littérature me paraît pourtant un exercice illusoire et prétentieux. Sur ce point, celle de Jean d’Ormesson est très illustrative. Dans Une autre histoire de la littérature française, il donne les trois raisons à l’origine de son livre. « La première est que j’aime ça. J’aime les livres » (p.10). Tout lecteur aime les livres, non ? « La deuxième raison, pour le meilleur ou pour le pire, est que j’essaie d’écrire moi-même ». Pour ceux qui l’ignorent, d’Ormesson est membre de l’Académie française, ce temple du pédantisme. La troisième raison c’est l’occasion de réaliser son rêve de relire ses classiques. J’aurais envie de dire, dans le langage familier contemporain, « lol ». Et en effet, d’Ormesson évoque Rabelais, Montaigne, Corneille, Pascal, etc. Des écrivains parfois conformistes et réactionnaires. Une étrange impression que d’Ormesson a bien sa place à l’Académie française. Ces références littéraires ne trompent pas. Une vraie encyclopédie des « grands auteurs français » finalement. C’est bien écrit, sous forme de notices, mais le contenu reste conforme au dictionnaire, à ce qu’il est possible d’apprendre sur Internet. Peut-être notre académicien fait-il une ou deux remarques un peu personnelles, rapproche tel ou tel écrivain avec tel ou tel autre, mais après ?

Vous l’aurez compris, une histoire officielle de la littérature me passionne assez peu. D'ailleurs, qu’est-ce que la littérature ? Pour Tolkien, c’est un art. Je suis d’accord avec lui sur ce point. Alors, une thèse, un mémoire, un livre scientifique, est-ce de la littérature ? Pour moi, les écrits universitaires sont rarement littéraires. C’est une littérature plus technique. Il n’y a là rien d’artistique. L’université formate des générations et les gens qui sortent du lot sont très peu nombreux. Ceux qui restent dans l’histoire se comptent sans doute sur les doigts d’une main. L’idée que l’université puisse proposer des filières de création littéraire met mal à l’aise. La créativité, le fond, ne risque t-elle pas de passer au second plan, au détriment de la forme ?

Formater un disque dur, comme formater un cerveau, c’est « préparer un support de données informatique (disquette, disque dur, etc.) en y inscrivant un système de fichiers, de façon à ce qu'il soit reconnu par le système d'exploitation de l'ordinateur » (Wikipédia) Finalement, ces filières de création littéraire risquent d’apporter des techniques d’écriture (le système de fichier) que chaque étudiant mettra en pratique, sans doute dans une optique différente, mais toujours pour que leurs créations soient reconnu par le système (les éditeurs, les lecteurs, etc.).

Ainsi, la « reconnaissance » est-elle au cœur du métier d’écrivain. En fait, c’est peut-être aussi un peu mon cas puisque j’écris sur ce blog. Si je ne veux pas être lu, je ne publie pas ces réflexions sur Internet. Seulement, de reconnaissance je n’ai pas grand-chose à faire. Mon parcours scolaire prend plutôt le bon bout. Dans deux ans, au plus tard, je serais sans doute professeur d’histoire. Cela me suffit amplement pour être heureux.

Si j’écris sur ce blog, c’est que j’aime écrire, partager mes impressions, mon opinion sur un sujet. Un auteur de roman veut être reconnu pour son travail, parfois même désir en vivre. Tout cela est normal. J’ai seulement du mal à concevoir qu’il ne s’agisse pas d’une passion. Gagner de l’argent pour avoir trouvé une formule qui vend, c’est assez révoltant. Le style de Musso et Lévy fait très « formaté ». C’est d’une platitude sans nom. C’est mon point de vue. Je préfère encore un écrivain ennuyeux, mais qui a une véritable démarche de création littéraire, dans le bon sens du terme.

Deux directions sont possibles, à plus ou moins long terme. L’idée d’entrer dans une de ces filières avec un projet de roman, de nouvelles ou de poésie en tête est nécessaire. Sur le papier, un tel cursus pourrait m’intéresser. Développer ses personnages, apprendre à maîtriser le rythme d’un récit, etc., peut avoir un côté pratique. C’est utile. Sur le papier, le master Lettres et création littéraire proposé à l’université du Havre est donc passionnant. Le problème c'est que le projet est au final validé (ou non) par un jury. L’optique est certainement de présenter un projet faisable dans l’optique d’une insertion professionnelle. C’est en substance ce que promet la plaquette. Que faire pour avoir un projet validé ? Qu'il soit conforme aux attentes du jury, non ? N'y a-t-il pas là un petit début de formatage ?

Une démarche plus osée et plus passionnante, au passage, est celle d'Alberto Manguel. Ce romancier et essayiste argentin a publié Une histoire de la lecture en 1996. Un livre excellentissime. Au final, c'est quoi la littérature ? N'est-ce pas une histoire de lectures justement ? C'est l'évidence même. Celui qui écrit est tout de même très souvent un lecteur. Des lectures qui inspirent directement, ou indirectement l'acte d'écriture. Quoi qu'il en soit, une lecture a presque toujours un impact sur nous, qu'il soit positif ou négatif. Apprendre à lire, c'est donc aussi apprendre à écrire. C'est la base.

Une histoire de la littérature n'apprend pas à lire, ni à écrire, elle présente des figures en exemple dont la réputation n'est souvent plus à faire. Cela donne un récit figé. Une histoire de la lecture, à l'inverse, présente un processus dynamique qui permet de se construire son propre monde imaginaire. Dans cette optique, chaque lecteur qui possède une bibliothèque pourrait écrire son histoire de la littérature, avec ses auteurs références, etc. Un coup de coeur peut alors changer l'ordre de ces références. C'est une histoire mouvante.

Pour être tout à fait honnête, j'ai lu très peu des "classiques" cités par d'Ormesson parce que ça ne m'intéresse pas. Est-ce un manque de culture ? Peut-être... Je pourrais y remédier en lisant son livre. Il a donc une utilité pratique. C'est tout. Alberto Manguel, à sa manière, propose un essai qui croise les références, l'histoire littéraire, celle des techniques de lecture et d'écriture, etc. Sa démarche me plaît davantage. Moi-même, aurais-je pu rédiger ce billet sans avoir lu un minimum, sans croiser mes références, sans employer des techniques basiques (comme la construction d'une phrase, l'agencement en paragraphes, etc.) ? Il me semble que non.

La lecture est un préalable à l'écriture et ne dois pas être négligée. Apprendre des techniques d'écriture, l'évolution du monde de l'édition, pourquoi pas, si cela va de pair avec une bonne formation à l'histoire littéraire. Si l'on regarde dans la plaquette de la filière, ce n'est pas le cas. Deux parcours : l'un plus professionnel (avec stage et soutenance d'un projet de création littéraire), l'autre plus universitaire (avec mémoire de recherche et stage). La séparation est dommage. Les professeurs pensent sans doute que les étudiants viendront pour la plupart de Lettres et n'auront pas besoin de connaissance en histoire de la littérature. Ils n'ont pas forcément tort, seulement, dans chauqe filière il est important de connaître l'histoire de sa discipline.

En résumé, vous aurez compris que je suis assez partagé sur ces nouvelles filières. J'y suis même plutôt hostile. Donc, apprendre à écrire un best-seller est potentiellement possible ! A voir avec le temps ce que vont donner ces filières. Aux Etats-Unis ça marche plutôt bien et des auteurs de best-sellers il y en tout de même un certain nombre. Sont-ils pour autant tous issus de ce genre de formation ? C'est moins sûr.      

 

Liens :

Les auteurs à succès : http://www.journaldunet.com/economie/communication/auteur-a-succes/harlan-coben.shtml          

Master lettres et création littéraire de l’université du Havre : http://www.univ-lehavre.fr/ulh_services/IMG/pdf/master_lettres_crea_litte-2.pdf

Rédigé par Simon Levacher

Publié dans #actualité, #littérature, #université

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